Retour sur la soirée « Vivant(s) » de Bloom

« Une soirée exceptionnelle de mobilisation citoyenne et artistique pour protéger l’océan, le vivant et l’humanité » organisée par Bloom dans le cadre de la Coalition Océan[1] le 21 mars 2025 au Théâtre du Châtelet à Paris.
La soirée « Vivant(s) » annoncée il y a quelques semaines par l’ONG Bloom, s’est tenue dix jours avant l’évènement « SOS Océan » organisé par le Président Emmanuel Macron à Paris. Cet évènement a été identifié par les membres du groupe de recherche Ocean Diplomacy Ethnography (ODIPE) comme un événement inscrit dans la lignée d’actions, d’activités et de rassemblements organisés par la société civile en vue dela troisième conférence des Nations Unies sur l’océan (UNOC) . Pour plusieurs de ses membres, l’activité militante en faveur de l’océan occupe une place centrale dans leur recherche. Le volet mobilisation citoyenne d’ODIPE débute donc par l’ethnographie de cet événement, le vendredi 21 mars 2025 au Théâtre du Châtelet à Paris. Dans cet article, Stanislas, Lucie et Clara vous proposent une description chronologique du déroulement de l’événement, à la manière d’un billet de blog.
Flyer avec le programme de l’événement

Le flyer placé sur chaque accoudoir des fauteuils du Théâtre du Châtelet[3] annonce « une soirée artistique, scientifique et engagée pour obtenir la protection de l’organe vital de la planète : l’océan ». Mis à part une volonté de Bloom de créer une mobilisation citoyenne, dix jours avant SOS Océan[4] et quelques mois avant l’UNOC 3, nous ne disposions jusqu’alors pas d’informations très précises quant au déroulé de l’évènement, pour lequel nous avions réservé notre place gratuite sur le site du Théâtre. La fiche cartonnée de format A5 du programme nous permet d’y voir plus clair. Ce sont majoritairement des performances artistiques : lecture, interprétation musicale, danse, projection de courts-métrages et des interventions d’activistes tels que Féris Barkat de Banlieues Climat ou Marie-Kell de Cannart, ou de personnalités telles que l’acteur Swann Arlaud, qui sont attendues. Le déroulé donne, à première vue, une place notable à l’art sur le thème des milieux océaniques. Et, à travers le programme de ce que nous convenons d’appeler un « spectacle », nous découvrons la volonté de Bloom d’organiser un évènement de mobilisation citoyenne alliant performances artistiques et interventions militantes autour d’un plaidoyer mis en avant sur la colonne de droite.

Nous sommes installés au deuxième balcon, offrant une vue surplombante sur la salle, bien que nécessitant de légèrement se contorsionner pour voir correctement la scène. Il est 19h15, la salle se remplit petit à petit, notamment en bas, dans la fosse, où s’installent les « personnalités stratégiques » ou « invité·es VIP », ainsi nommé·es par l’association : personnalités politiques, activistes, artistes…

Quelques instants avant que la lumière ne s’éteigne, nous remarquons que le public est majoritairement jeune – la moyenne d’âge se situe à première vue entre 20 et 30 ans–. Puis l’obscurité rempli l’espace. Seule une lumière dirigée éclaire un pupitre devant lequel se tiennent Claire Nouvian, la fondatrice et directrice générale de Bloom et l’acteur Swann Arlaud. Ils commencent à lire un texte, avec un ton théâtralisé en se répondant mutuellement, qui retrace différentes phases d’apparition du vivant sur Terre. Pendant une dizaine de minutes, les deux narrateurs se lancent dans une description détaillée et émerveillée de l’apparition du vivant, d’abord dans l’océan, puis de son déploiement et de sa diffusion hors des océans. Le lien entre l’humain et l’élément océanique, avec les êtres qui le composent, est mis en avant : « nous sommes des poches d’océan ». Cette narration cherche aussi à souligner la part infime que représente l’histoire humaine dans l’histoire de la vie sur la planète, et d’énoncer la rapidité des effets destructeurs des activités anthropiques sur l’ensemble du vivant. À la suite de quoi, l’accent est mis sur la possibilité de dévier de trajectoire, en laissant au vivant la possibilité de se regénérer, et la performance finit par un appel commun à la mobilisation. Ce triptyque beauté/destruction/espoir instaure un schéma et une cadence que l’on retrouve dans les interventions et performances qui vont suivre.

Suite à cette lecture introductive, la lumière vient éclairer à nouveau la salle et Claire Nouvian s’avance seule au-devant de la scène, un micro à la main. Elle remercie le public pour sa présence et resitue cet événement dans la dynamique instituée par la création de la Coalition citoyenne, en mars 2024. La directrice de Bloom poursuit et annonce qu’un événement organisé par le gouvernement dans la perspective de l’UNOC 3, intitulé « SOS Océan » va se dérouler la semaine suivante, réunissant notamment des membres du gouvernement et des scientifiques. Elle identifie cet événement comme capital dans les futures prises de décisions politiques et au cours duquel il est impératif d’agir pour « protéger l’océan ». Cette introduction lui permet de présenter une des campagnes sur lesquelles l’ONG est particulièrement active : l’interdiction de la pratique du chalut de fond dans les aires marines protégées (AMP). Claire Nouvian interpelle alors le public en lui annonçant qu’il sera sollicité pour une mobilisation collective autour de cet enjeu et que son organisation concrète sera énoncée plus tard dans la soirée. Elle prend le temps de rassurer le public sur la dimension « non-physique » de cette mobilisation, en précisant qu’elle est réalisable « du fond de votre canapé ». En attendant, la directrice de Bloom invite le public à passer une « belle soirée », « tous ensemble », et se retire pour laisser place à une interprétation libre du morceau des Pink Floyd, The Great Gig in The Sky, par une chanteuse et des musiciens. Une projection vidéo diffusée sur un grand écran à l’arrière de la scène accompagne les artistes. Le scénario de la vidéo est séquencé en trois parties, à l’image du schéma en trois parties décrit précédemment. Une première partie cherche à montrer toute la beauté des écosystèmes sous-marins, accompagnée d’une musique douce, enchanteresse, onirique. Une deuxième partie montre des bateaux de pêche, notamment des chalutiers, en pleine action extractive avec des images très violentes et sanglantes d’animaux marins en fuite, écrasés, agonisant. Le tout sur un fond musical bien plus fort, sec, strident voire dissonant. La troisième et dernière partie redonne la place à la beauté du vivant, à sa capacité de résilience et de régénération sur fond d’une musique entraînante et pleine d’espoir.

Il s’ensuit la chorégraphie « Récifs » du collectif Minuit 12, initiée par une projection vidéo[5] avant que certain·es danseur·ses investissent physiquement la scène pour poursuivre la performance. La chorégraphie comporte des mouvements ondulatoires associés à l’imaginaire marin, à la fois des corps et d’un tissu bleu, agité pour former des vagues. Puis le court-métrage intitulé « Forêts animales marines » est projeté, dévoilant des vidéos de fonds marins prises par l’association Under The Pole, spécialisée dans les prises de vue sous-marines[6], accompagné par la voix de Swann Arlaud lisant un texte de Baptiste Morizot. Une vidéo également réalisée suivant le triptyque décrit plus haut. Dans un premier temps, des images somptueuses par leurs couleurs et leurs formes, soulignant l’exceptionnalité de ces « forêts animales marines », des écosystèmes sous-marins similaires aux structures des forêts terrestres où vivent des communautés benthiques dominés par des suspensivores[7], avant de montrer leur disparition progressive avec des images prises d’un chalut raclant les fonds marins. La narration rapproche la destruction de cet espace maritime de la « déforestation » des forêts terrestres et lie la disparition de ce milieu à sa méconnaissance due notamment à son caractère immergé, et donc moins visible. La vidéo se termine sur l’espoir de régénération de ces forêts animales au sein d’espaces maritimes où le chalutage de fond serait interdit. Cause pour laquelle il est nécessaire de « se battre » conclut le court-métrage.

A la fin de cette projection, une voix se fait entendre dans la salle. Elle explique qu’elle a récemment découvert l’existence de ces forêts animales sous-marines, et plus largement les enjeux de conservation de la biodiversité liés à l’océan, grâce à sa rencontre avec Claire Nouvian. Féris Barkat, activiste et co-fondateur de Banlieues Climat, monte sur scène et ponctue son intervention de traits humoristiques, verbaux et corporels. Il relève et dénonce des effets de désensibilisation face à l’accumulation de situations de violence et d’urgence, notamment en contexte de quartiers populaires, et appelle à « réapprendre à se mobiliser » en liant explicitement justice sociale et urgence climatique. Suite à cela, la salle replonge dans le noir et Pulvérisation sous-marine invite à une expérience sonore. Une musique grave, progressivement de plus en plus forte et assourdissante envahit le théâtre. Après de longues secondes, l’écran géant se rallume et sur fond d’énormes chalutiers, on peut lire que cette activité « destructrice » pour l’environnement est largement subventionnée par l’argent public.

Dans l’ensemble, la salle est particulièrement réactive aux projections et aux interventions qui sont à chaque fois concluent par de chaleureux applaudissements.

Un second court-métrage, l’appel des scientifiques, est projeté, dans lequel intervient Claire Nouvian, accompagnée du climatologue Christophe Cassou. Le film retrace chronologiquement des productions scientifiques d’une dizaine de chercheur·es internationaux entre 1972 et aujourd’hui, qui ont alerté précocement sur le changement climatique et le dépassement des limites planétaires, et, avec la figure de Daniel Pauly, la surpêche, ainsi que des travaux comme ceux de Naomi Oreskes qui ont mis en lumière l’influence des industriels et des lobbies pour retarder la prise d’actions. Dans la vidéo, le manque d’actions politiques concrètes depuis ces nombreuses années est qualifié de « mouvement antiscientifique ». Claire Nouvian et Christophe Cassou plaident alors pour la prise en compte de ces travaux scientifiques dans le processus décisionnel. A la suite de cette projection, la directrice de Bloom reprend la parole pour appuyer l’argumentaire énoncé dans le film et identifie le besoin de provoquer un « sursaut collectif citoyen » et pour cela, appelle à l’imagination. La peur doit être mobilisée afin de prendre la mesure de la situation et « regarder le désastre en face », ce qui est la seule manière d’envisager concrètement les catastrophes pour mieux les prévoir. Faire usage d’un « catastrophisme éclairé » dit-elle.

Puis, Claire Nouvian invite le public à prendre connaissance de la vidéo de l’activiste Camille Etienne, qu’elle présente comme son « double » d’engagement en l’excusant de son absence. Dans cette vidéo, Camille Etienne appuie l’idée de donner davantage la parole aux scientifiques et encourage le public à se mobiliser pour l’océan. Ensuite Claire Nouvian invite sur scène l’activiste Adelaïde Charlier qui encourage à « faire changer le narratif » en retraçant une victoire auprès du Parlement européen, lors du vote de la loi européenne sur la Restauration de la nature en juin 2024[8]. Puis Féris Barkat est invité à prendre à nouveau la parole. Il s’interroge sur l’usage du terme « engagé », identifiant une forme d’exceptionnalisation par son utilisation : est-ce qu’utiliser ce terme signifie que la « norme est de s’en foutre » ? Son questionnement aborde également la dimension excluante en fonction des niveaux d’engagement, et les tendances à l’héroïsation des militant·es. Il relate l’action de « mamans » associés à Banlieus Climat, s’étant rendue au siège de Leclerc pour revendiquer le droit d’interpeller son PDG, après avoir pris connaissance, par Claire Nouvian, des risques de contamination au mercure posés par le thon en conserve.

Claire Nouvian reprend la parole pour inviter à une mobilisation collective sur les réseaux sociaux. Elle appelle le public à programmer une alarme sur son téléphone pour le lendemain à 15h, afin de repartager un post écrit par Bloom, en taggant deux ami·es ainsi que le Président Emmanuel Macron. La directrice de Bloom insiste pour le faire en direct et demande au public de lever son téléphone en l’air pour lui montrer que l’alarme a bien été enregistrée, ce qui permettra d’assurer le succès algorithmique du post. S’en suit une performance musicale au cours de laquelle les musiciens de l’orchestre du Nouveau Monde proposent une composition originale de cliquetis et de grondements évoquant l’univers marin. L’événement se termine par une performance musicale collective, Marie-Kell de Cannart, proposant au public, encore debout après avoir applaudit l’orchestre, de chanter en chœur La voie de l’océan. Un tonnerre d’applaudissement couvre la voix de Claire Nouvian sur toute la fin de son intervention.

Nous ne tardons pas à sortir de la salle et à rejoindre l’espace cocktail réservé a priori pour les personnalités stratégiques, qui ont un bracelet bleu pour être identifiables, mais nous parvenons à nous immiscer dans le Grand salon du Théâtre du Châtelet. Un grand nombre de personnes déambule dans cet espace, formant çà et là de petits groupes, une coupe de champagne dans une main, un petit four dans l’autre, sur un fond sonore de musique live. Un stand de vente d’affiches à prix libre est mis en place par Bloom à côté du buffet. À l’entrée du salon, il est possible de prendre des « photos souvenir » grâce à la présence d’un photographe dédié à cela. L’ambiance semble détendue, on imagine facilement un espace de rencontre et de réseautage entre les salarié·es de l’association et l’ensemble des invité·es en soutien de leurs actions. C’est l’occasion de parler avec certain·es salarié·es de Bloom, en apprendre plus sur le fonctionnement de l’association et leur ressenti vis-à-vis de la soirée.

À l’issu du cocktail, l’ensemble des participant·es est invité à quitter le théâtre autour de 23 heures. L’équipe de Bloom invite celles et ceux qui le souhaitent à poursuivre la soirée dans un bar réservé spécialement pour l’occasion.

Cette soirée est l’occasion pour l’ONG Bloom de lancer sa campagne de mobilisation citoyenne en vue de l’UNOC 3 en faisant appel à l’ensemble de ses soutiens. Notre participation à cet événement nous permet de commencer à identifier des modes de fonctionnement propres à l’ONG : son répertoire d’action mobilisé pour intégrer la société civile (en prenant le temps d’organiser un rassemblement sur ton de convivialité et d’action collective, les thématiques sur lesquelles son plaidoyer sera axé dans les mois à venir, ou encore l’usage à grand renfort de dispositifs artistiques rythmés par un schéma répétitif mêlant émerveillement et sidération. Dans les semaines à venir, nous continuerons de suivre les actions et les positionnements de Bloom en amont puis pendant l’UNOC 3. Bien que nous n’ayons pas encore identifié clairement d’autres ONG ou association qui auraient pu mettre au jour un positionnement spécifique en vue de l’UNOC 3, les événements de mobilisation citoyenne vont certainement se multiplier dans les semaines à venir, ce à quoi nous resterons attentif·ves pour poursuivre l’ethnographie de ce volet.

[1] https://www.oceancoalition.org/

[2] https://www.mer.gouv.fr/sos-ocean-un-appel-mobilisation-pour-locean

[3] La salle du Chatelet est une salle à l’italienne avec une jauge de 2038 places. Les places présentant une mauvaise visibilité n’étaient pas proposées à la réservation. On estime qu’un programme était distribué sur environ 1500 places.

[5] La vidéo diffusée à l’évènement (sans la voix de Claire Nouvian, mais avec la musique) est disponible à cette adresse : https://www.youtube.com/watch?v=8yKmFSoUkWg&list=RD8yKmFSoUkWg&start_radio=1

[6] https://underthepole.org/

[7] https://www.inee.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/marine-animal-forests-ecology-benthic-biodiversity-hotspots

[8] https://www.lemonde.fr/international/article/2024/06/17/au-parlement-europeen-la-loi-sur-la-restauration-de-la-nature-adoptee-grace-au-soutien-surprise-de-l-autriche_6240937_3210.html

Affiche "Vivan(s)" événement BLOOM au Théâtre du Châtelet
Bloom

Share

© ODIPE Research Project | All rights reserved | 2025